Biographie
Autrice, éditrice, chroniqueuse et traductrice, Chloé Savoie-Bernard occupe un poste de professeure de littérature à l’Université Queen’s. Elle a entre autres publié Des femmes savantes (Triptyque, 2016) et Sainte Chloé de l’amour (Hexagone, 2021). Une recherche identitaire tournée vers soi-même ainsi que vers d’autres marque le parcours poétique de la poète québécoise. Ses poèmes sont à la fois durs, lucides et vulnérables, et dansent au rythme d’un lyrisme qui se fait et défait et où le sens se crée dans les espaces. Les images volent en pleine figure de ses lecteurices : images qui révèlent un regard rigoureux sur la notion de l’être au féminin de nos jours et à notre époque. C’est à partir de son regard que Savoie-Bernard écrit, et particulièrement par le biais de ses propres expériences même si elle souligne qu’écrire à partir de ses expériences n’équivaut pas à écrire sur soi.
Entrevue
Oui, je lisais de la poésie au secondaire. Des poètes assez classiques : Baudelaire, Rimbaud. Nelligan, comme tout le monde. J’aimais bien Boris Vian aussi. Je me souviens que j’appréciais particulièrement Louis Aragon. Son vers « tout est affaire de décor », j’y pense encore souvent.
J’écris un journal intime et des histoires depuis l’enfance. J’ai commencé à écrire des poèmes plus tard, vers 13 ou 14 ans. Début vingtaine, j’ai fait un recueil qui n’a jamais été publié. Ce n’est pas plus mal, d’ailleurs ! Puis j’ai composé un deuxième recueil, Royaume scotch tape, qui, lui, a trouvé sa maison d’édition.
Je commence tranquillement à accepter que je suis poète. J’ai souvent peur d’être prétentieuse de me présenter en disant « salut, moi c’est Chloé, j’écris des livres ». En même temps, je crois que si c’est pour écrire en catimini, en s’excusant, ça ne sert à rien de le faire. J’essaie d’assumer que la littérature est ma colonne vertébrale, ce qui me tient debout. C’est un apprentissage.
Plus que tout, je pense que le travail du poète en est un sur la langue. Empiler des vers les uns sur les autres a quelque chose de très matériel, pour moi. Davantage que lorsque j’écris de la fiction, j’ai l’impression, lorsque j’écris des poèmes, que les mots sont un matériau brut que je travaille afin de lui donner une nouvelle forme. Comme de la sculpture. Mais une sculpture pleine de bosses, une sculpture pas lisse, pas droite, pas conçue pour correspondre à une esthétisation du réel.
J’ai l’impression que j’écris souvent à partir d’un vertige, d’une émotion que j’ai de la difficulté à circonscrire et que la précision de l’écriture poétique parvient à déchiffrer, ou du moins à éclaircir. Pour « Prévision météorologique », j’avais cette image de filles qui tombaient, mais qui ne le faisaient pas réellement, un peu comme les personnages des tableaux de Chagall, qui sont souvent présentés à l’horizontale, en apesanteur. Je voulais parler de ces filles qui sont contraintes à la chute par une société qui ne prend pas trop soin d’elles, mais qui s’en sortent quand même. Une chute douce-amère, qui blesse, mais ne tue pas, une chute qui ressemble à un manège.
« Nous », de Geneviève Desrosiers, pour sa singularité et sa force. Un poème dur, triste, mais avec quand même une espèce de rire en arrière-fond… Le lire me permet de ressentir des émotions connues et inconnues tout à la fois, et c’est ce que je recherche en littérature constamment, ce sentiment d’étrangeté et de familiarité.